jeudi 15 septembre 2011

Back to business

Rhaaaaâââââh !!
C'est dit.
Quel plaisir de repartir à l'assaut après une journée un peu plus molle que d'habitude.
Après une bonne nuit de 5h30 de sommeil, je me suis auto-ejecté du lit avant la sonnerie du réveil (une habitude cette semaine) avec une patate à faire pâlir d'envie un trader cocaïnomane.
Douche-café-métro, me voilà arrivé sur le lieu de tournage à 7h30. Dans le métro, je tombe sur Mickaël Cohen, venu nous aider depuis le début de semaine.
Léna est déjà là, et nous entamons illico presto un passage en revue des plans à tourner, et je décide de l'endroit où nous allons les tourner.
Julien Jaunet et son scooter arrivent peu après.
Nous checkons le découpage, je lui explique les plans que j'ai en tête, il me reçoit 5 sur 5, comme d'hab'.



Les acteurs arrivent ensuite et passent au HMC (Habillage Maquillage Coiffure). Nous avons aujourd'hui Elsa Kikoïne, Vincent Londez et Jean-Pierre Cormarie. Jean-Pierre m'avait envoyé son CV et sa bande démo il y a quelques mois. Je suis retombé dessus en cherchant un acteur pour jouer le rôle du chauffeur de taxi, initialement attribué à mon ami Fabrice Colson, qui tourne actuellement avec Jean-Pierre Mocky.

Une subite pulsion d'ambition nous pousse, Julien et moi, à envisager de regrouper deux séquences en une seule, en plan-séquence.
séquence 1 : Elsa et Vincent discutent dans une voiture.
séquence 2 : Elsa sort en courant, poursuivie par Vincent.
La larme à l'oeil, je repense aux plans séquences d'anthologie des "Fils de l'homme" et m'excite tout seul à l'idée d'approcher ne serait-ce que de très loin, le quart du dixième de la force de l'une de ces séquences.


Nous faisons quelques essais et nous rendons rapidement compte que cela ne fonctionnera pas. Le dialogue sur la banquette arrière du véhicule ne marche pas en séquence, la caméra n'arrête pas de panoter, c'est assez perturbant à l'image. En revanche, le traditionnel champ-contrechamp semble fonctionner à merveille.

L'installation lumière dans la voiture prend pas mal de temps, et nous décidons de commencer par la course-poursuite à pieds. Elsa sort en courant de la voiture, poursuivie par Vincent, poursuivi par un chef op', deux ingé son et un réalisateur qui cavalent comme des dératés sur le boulevard Vincent Auriol. Ai-je précisé que le chef op' cavalait avec une caméra de 20kgs sur l'épaule ?



La scène est impressionnante, certains passants sont paralysés par l'effroi lorsqu'ils nous voient débouler. Un vieux monsieur grimace, une vieille dame se fige sur place, nous croisons des regards étonnés, d'autres indignés.
Nous sommes devenus les terreurs du 13e arrondissement.
Ce plan est littéralement surexcitant à mettre en boîte. Je suis ravi de mon choix délibéré de le tourner à l'épaule et non au steadicam. L'image remue dans tous les sens, on sent bien que c'est la panique et que ça va barder. D'ailleurs, ça remue telement que nous avons quelques "drops" (pertes d'images) sur le Red Drive et sommes contraints de tourner sur carte compact flash.
Elsa Kikoïne et Vincent Londez "resserrent" leur jeu prise après prise, pendant que Julien Jaunet prend ses marque au pointage et au diaphragme. Seul au cadre pour ce plan, il cadre, fait le point et contrôle le diaphragme en même temps.
Pour un être humain normal, c'est un peu comme jouer à Tetris tout en téléphonant à son banquier et en jonglant avec un ballon au pied, en même temps.
Impossible.
Julien fait ça sans broncher.



la 4e prise est très bonne, la 5e et la 6e sont excellente. On en fait une 7e pour la forme, selon le vieil adage : "elle était parfaite, on la refait !"
Puis on enchaîne sur les plans à l'intérieur de la voiture. En revenant à la voiture, je suis interpellé par une femme de 35-40 ans, qui demande à parler au réalisateur. Julien me dénonce lâchement et file à l'anglaise. La femme se présente : elle est chanteuse et me demande de faire passer son CD à des producteurs (?).
"Ah ? Euh... comment vous dire...?"
A cet instant précis, je me surprends à regretter de ne pas être un sale type capable de la zapper à la vitesse du son.
Au lieu de ça, je lui demande.... un CD, avec l'espoir secret d'endormir l'affaire.
Elle n'en a pas (?).
Elle me demande mes coordonnées.
Je rate une 2e porte de sortie ("j'ai pas de carte de visite sur moi, désolé, bon courage, au revoir") et lui tends l'unique carte de visite froissée que j'extirpe de la poche arrière de mon jean.
Alors que je n'ai ni stylo en main ni manifesté aucune intention de noter quoi que ce soit, elle commence à m'épeler son nom et son adresse email (?).
Poliment, je prends congé en lui expliquant que "j'ai un tournage à finir".
Dans un brusque mouvement de tête vers l'arrière que j'interprète comme un "oh oui bien sûr, excusez-moi, mais où avais-je la tête ?"), la jeune femme perd sa perruque, qui vient s'écraser lourdement sur le sol.
Elle la ramasse immédiatement, m'adresse un sourire crispé, tourne les talons et repart.

Fin de la 1ère séquence insolite du jour.

Nous aurons droit à une deuxième séquence insolite lorsqu'un hurluberlu viendra nous interpeller oralement juste avant une prise : "hey ? ça va ? ho ? Ouida, comme disent les bretons !". Il se mettra ensuite à suivre Julia, notre costumière, avec quelque chose qui ressemblait à une lueur lubrique dans le regard. Il se mettra ensuite à parler aux pigeons, sans plus de succès.

Fin de la 2e séquence insolite du jour.



Nous enchainons donc par les plans à l'intérieur de la voiture. Julien, Quentin Améziane (le chef électro) et Serge (l'électro) ont fait du très bon boulot. Ils ont placé des néons aux endroits stratégiques. Les acteurs sont tous éclairés de manière douce, uniforme et surtout crédible à l'image. C'est toujours crispant de voir un acteur au volant suréclairé dans un film. Un truc qu'on voit souvent dans les extérieurs nuit.



On tourne une mise en place et réglons 2-3 trucs au dialogue. Je m'insulte alors mentalement pour ne pas avoir organisé de répétitions officielles, qui auraient permis de régler en amont ce que nous sommes en train de régler sur le plateau. C'est très rapide, mais nous perdons quand même quelques précieuses minutes.
Jean-Pierre Cormarie me fait bonne impression, il est juste. Il'en fait ni trop ni trop peu. Cette sensation de justesse constitue toujours une agréable surprise lorsqu'on travaille avec un comédien pour la première fois.
Parce qu'au fond, même si la bande démo est séduisante, la certitude ne vient qu'après les 2 ou 3 premières prises. C'est là qu'on sait si on va ramer ou pas.



On fait donc les champs-contrechamps entre Vincent et Elsa.
Vincent Londez est nickel, comme toujours et me propose des choses intéressantes. Des nuances de jeu qui donnent de l'épaisseur au personnage. Des hésitations, des silences, tout cela est très intéressant et raconte tout un tas de choses, sans avoir besoin d'utiliser des mots.
Je suis un peu emmerdé lorsqu'il s'agit de diriger Elsa Kikoïne. Elle est toujours aussi juste, et du coup, j'ai pas grand chose à lui demander, si ce n'est de tenter de très légères variations, en appuyant tantôt la surprise, tantôt la peur, ou en découpant un poil plus les différentes intentions de jeu. Elle s'exécute, et je n'ai qu'à admirer la travail derrière mon retour vidéo.
Si, du haut de ma courte expérience de réalisateur, j'avais des conseils à donner en matière de scène de jeu réussie, le premier serait celui-là : caster de bons acteurs, c'est faire 90% du boulot.



Nous enchainons sur la séquence où Vincent s'engouffre dans le taxi juste après Elsa. Vincent doit entrer côté circulation, ce qui n'est pas très safe. C'est là qu'intervient l'équipe régie : Cécile, Julien, Benoit et Maher. Vêtus de gilets jaunes fluo et reliés par talkies walkies pour une coordination parfaite, ils bloquent carrément une voie au milieu de boulevard Vincent Auriol. Du coup, Vincent peut jouer sa scène sans danger. On aurait été bien embêtés d'esquinter notre acteur principal à la mi-tournage...



Morgane Demetreau, notre jeune scripte déjà bien rôdée du haut de ses 21 ans (elle a bossé sur la saison 2 de "Braquo"), garde l'oeil du tigre en toutes circonstances et nous évite quelques grossières erreurs de continuité et/ou de cohérence. Jusqu'à aujourd'hui, je n'avais que très rarement travaillé avec une scripte. Une fois au montage, je l'avais bien souvent regretté.



La coupure déjeuner a lieu à 14h30, dans une pizzeria d'honnête facture. A 15h30, nous décollons direction la Butte aux Cailles où nous devons tourner encore 3 ou 4 plans. A l'arrivée, Vincent me souffle que le plan que nous nous apprêtons à tourner n'est sans doute pas nécessaire. Je refais mentalement le déroulé chronologique du film et me rends compte... qu'il a raison.
Je prends les avis de Léna, Morgane et Julien. Ils tombent tous d'accord : nous n'avons pas besoin de ce plan.
C'est plutôt une bonne nouvelle, car du coup, nous n'avons pas besoin des 2 plans suivants non plus. Il est 16h et il ne nous reste donc que 2 plans à tourner.
Je me prends à rêver à une heure fin de tournage record mais la réalité nous rattrape soudain. Nous arpentons, Julien, Léna, Morgane et moi, la rue de la Butte aux Cailles pour trouver un meilleur "spot" pour shooter la scène. Nous nous arrêtons devant une ruelle visuellement intéressante où nous décidons de tourner. Le temps de déplacer le matériel, de mettre en place le cadre, les acteurs et l'équipe, il est déjà 17h. Le plan est complexe à mettre en place, nous tournons en longue focale, la zone de netteté est réduite, faire le point devient un enfer. Nous sommes obligés de mettre des marques au sol pour les comédiens. De répéter la mécanique du plan. Encore et encore. La Butte aux Cailles est un endroit relativement bruyant et plusieurs prises, bonnes à l'image ne sont pas bonnes au son. Il faut les refaire.



Bilan, aussi impensable que ça paraisse, il nous faut UNE HEURE pour mettre en boite une séquence d'une minute à tout casser.
Un attroupement s'est progressivement créé autour de nous, les badauds s'arrêtent, nous observent, parlent entre eux. Etrange mise en abyme que de se sentir observés comme si nous étions sur une scène, alors que nous sommes précisément en train de faire acte de mise en scène. Amusant.



Nous avons également eu le plaisir d'accueillir sur le tournage Jean-Claude, alias Alberick, venu de Lille pour nous voir. Il fait partie des premiers contributeurs du projet, sur Ulule. Il a réalisé une figuration sur cette fameuse scène de la Butte aux Cailles.

Nous terminons par des plans sur Vincent seul. il joue l'attente, le temps qui passe. Nous personnifions ce temps par des passages de l'équipe dans le champ. Julien Jaunet, Quentin Améziane et Tiffany Fouqueil font du vélo, Benoit déambule, je traverse en discutant avec Patrice Goldberg, notre réalisateur making of. Nous tournons tout ça sans le son. Le bar d'à côté vient d'ouvrir et a allumé la sono.
Jacksons Five.
ABC.
En esquissant 3 pas de danse, nous bouclons à 18h30, soit une heure décente en comparaison avec les jours précédents. L'équipe semble contente de la journée, j'en suis le premier ravi. On a mis quelques chouettes plans dans la boite, sur un bon rythme et dans la bonne humeur.
Que demander de plus, si ce n'est réitérer l'opération lors des 3 prochains jours de tournage ?

A très bientôt.


(Photos : Yannick Pecherand Molliex)

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